« C’est un cap! Que dis-je c’est un cap, c’est une péninsule! » Les vers les plus célèbres de la pièce d’Edmond Rostand ont résonné plus de 20 000 fois dans les théâtres de France et de Navarre pour en faire l’œuvre de théâtre en français la plus jouée. Un mythe dont Alexis Michalik s’est inspiré pour créer « Edmond », pièce relatant la création de Cyrano sous la houlette d’un Rostand tout feu tout flamme.
Habitué des personnages hauts en couleurs depuis son album « Le travailleur de la nuit » relatant la vie tumultueuse d’Alexandre Marius Jacob, Léonard Chemineau a donc relevé le défi d’adapter la pièce aux 5 Molières accouchant d’un album éponyme renversant.
Le pitch
France, 1897. Deux ans après l’échec de sa pièce de théâtre « La Princesse Lointaine » avec pourtant Sarah Bernhardt en tête d’affiche, Edmond Rostand a perdu l’inspiration. C’est pourtant cette même Sarah qui déboule chez lui comme un chien dans un jeu de quille annoncer à son poète chéri qu’elle lui a décroché un rendez-vous avec LE comédien en vogue : Constant Coquelin.
Alors qu’il végète depuis bientôt deux ans, le metteur en scène trouve, en à peine deux heures, le personnage idéal à sa nouvelle création, à la fois superbe dans la défaite, merveilleux dans l’échec et fin bretteur: Savinien Cyrano de Bergerac, l’écrivain du XVIIe siècle.
Séduit par le projet, Coquelin marche. Tout comme Léonidas Volny, intime d’Edmond. Plutôt bel homme, ce dernier s’est entiché de Jeanne, une habilleuse. Mais pour gagner son coeur, Léo n’y est pas. Plutôt adroit lorsqu’il s’agit de manier le verbe, Edmond se propose alors d’écrire des lettres enflammées à Jeanne en se faisant passer pour son ami.
Mais ce jeu de passe passe prend rapidement une autre dimension. En écrivant à Jeanne en lieu et place de Léo, Edmond se rend rapidement compte qu’il a trouvé sa muse, celle lui permettant de donner corps à sa pièce.
Le dramaturge accouche très rapidement de deux actes lui permettant au passage de maintenir son entreprise à flots tout en gardant à distance les investisseurs soutenant la pièce.
Le stratagème porte donc ses fruits maintenu à bouts de bras par un Edmond vibrionnant, quitte à mettre en péril son propre couple. Sans compter la date de la première qui, elle, ne peut en aucun cas être déplacée…
Ce que l'on peut en dire
Les adaptations littéraires en bande dessinée pullulent mais jusqu’ici, je n’avais pas eu l’occasion de lire beaucoup de pièces de théâtre transposées en cases et phylactères. Et disons le tout de go, le travail de Léonard Chemineau a au moins autant de panache que son personnage principal.
Les dialogues sont bien entendus soignés, respectueux des œuvres aussi bien de Michalik que de Rostand et plongent immédiatement la lectrice / le lecteur dans le vif du sujet.
Cela se double d’une mise en abyme qui fonctionne très bien, la mise en scène de Chemineau flirtant par moments avec le vaudeville. La farandole de personnages qui vont et viennent confèrent au livre un côté trépidant pouvant rappeler aussi bien la frénésie créatrice de Rostand que la tension gagnant tous les acteurs une heure avant la représentation.
Le tout est bien sur rehaussé du travail en couleurs directes de Chemineau dont la représentation du Paris de la Belle Epoque est tout à fait convainquant. Un petit dossier explicatif sur le théâtre de la fin du XIXe n’aurait pas été de trop tant cet ouvrage m’a charmé.
Un album qui frappe d’estoc et de taille, verbalement et graphiquement!