A l’instar de Donald Westlake, maître du polar « Hard Boiled » (dur à cuire vous l’aurez compris) outre atlantique, Jean-Patrick Manchette est un des chefs de file du « Néo Polar » né au début des années 1970. Un courant servant souvent de tribune à ces auteurs pour dénoncer scandales politiques et dérives sociétales contemporaines. Ecrit en 1972 puis adapté sur grand écran par Claude Chabrol deux ans plus tard, « Nada » trouve ici un second souffle porté par un duo d’auteurs au diapason : Doug Headline, le propre fils de Manchette et l’inévitable Max Cabanes.

Le pitch

Ils sont 4 : D’Arcy alcoolique paumé, Muller qui désespère dans son boui-boui, Treuffais, le prof de philo un brin nerveux et Diaz, le bouillonnant catalan. L’ossature du groupuscule Nada est là. Dans la France des années 1970 qui n’a pas encore subit son premier choc pétrolier, ces traines savates d’extrême gauche ont un objectif : kidnapper l’ambassadeur américain.

D’abord réticent, un 5èmelarron va se joindre à eux : Epaulard, « l’expert » de la bande qui n’a pas pour habitude de mâcher ses mots. Malgré les failles des uns et des autres qui apparaissent au grand jour, le quintet se met en branle.

Les armes sont audacieusement subtilisées à d’honnêtes gardiens de la paix et le lieu de l’enlèvement scrupuleusement analysé. Quoi de mieux que d’appréhender le diplomate pendant une virée dans sa maison clause favorite ?

Mais un bon plan bien rôdé ne saurait se passer d’une planque isolée et au dessus de tout soupçon. Ce sera la ferme de Véronique Cash, également dans le coup. Femme fatale tout droit sortie d’une production hollywoodienne, celle qui se considère comme une prostitué n’a pas sa langue dans sa poche. Morceau choisi : « Sous mon apparence froide et apprêtée se cachent et bouillonnent les flammes de la haine la plus brûlante à l’égard du capitalisme technobureaucratique qu’a le con en forme d’urne et la gueule en forme de bite ».

Le décor est planté, le commando amputé de la défection de Treuffais, décide alors de passer à l’action…

Ce que l'on peut en dire

Noir c’est noir. Manchette a toujours écrit sans concession, règle à laquelle Headline et Cabanes n’ont bien sur pas dérogé. Le résultat est âpre, met les nerfs à vif. Mai 1968 a laissé des traces indélébiles aux yeux de certain(e)s frustré(e) pour qui cet élan vers un idéal révolutionnaire se veut implacable.

Les dialogues fusent comme des pruneaux et contribuent à créer cette ambiance désabusée où toute forme d’espoir peine à se frayer un chemin. L’histoire n’est pas démoralisante pour autant, elle colle plutôt bien à cette société héxagonale alors chamboulée et en perte de repère. Manchette tape là où ça fait mal et n’hésite pas à mettre en cause les services de l’Etat Français, manipulant à sa guise l’opinion publique pour mieux éradiquer toute forme de contestation virulente.

Les personnages sont charismatiques à souhait, prêtent à rire par leur franc parler mais la palme revient à Véronique Cash. Froide de prime abord, elle dégage un magnétisme hors du commun et l’on comprend vite pourquoi elle trône sur la couverture. Une image de femme forte qui donne d’autant plus de cachet à l’album. La mise en couleurs pourra parfois sembler terne aux yeux de certain(e)s mais elle est contrebalancer par un découpage très aéré des planches.

Intense, poisseux et nihiliste par moments, Nada offre une mise en scène soutenue et reflète bien plus que ne le laisse supposer son titre. Le polar de 2018 ? En tout cas un très bon moment de lecture !

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La liberté ne se mendie pas, elle se prend.
– Alexandre Jacob